Le changement climatique est devenu «·la·» question globale qui conditionne l’avenir de notre planète.· Et la paix dans le monde en découle. C’est ce qu’a voulu souligner le Comité Nobel en attribuant, en 2007,·le Prix Nobel de la Paix au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et à l’ancien vice-président Al Gore, auteur du livre et du film Une vérité qui dérange. «·J’espère que l’attribution du Nobel créera un sentiment d’urgence face à la question du réchauffement climatique,·» lançait alors· Rajendra Pachauri, président du GIEC.

Al Gore moque l’étonnante schizophrénie de notre monde contemporain à travers une parabole·: le boiled frog syndrom. Une grenouille plongée dans une eau chaude tente immédiatement de s’en extraire. En revanche, si elle est immergée dans l’eau froide ou tiède d’une casserole, elle ne réagira pas et se laissera cuire à petit feu, jusqu’à la mort.

L’histoire des sociétés disparues (des Incas aux colonies viking du Groenland) révèle que la grenouille n’est pas seule à prêter peu d’attention aux changements qui surviennent graduellement. L’Empire Sumérien fait partie de ces civilisations qui se sont effondrées du fait de leur propre cécité. Par suite d’un abatage massif de leurs forêts s’étendant du Jourdain au Liban, les pluies chutèrent de 80 % transformant l’ancien croissant fertile en déserts. Les pays limitrophes conquis par les Mésopotamiens pour s’approprier leurs réserves de bois connurent le même sort. Cette transformation climatique déboucha sur une famine généralisée et l’effondrement de l’Empire Mésopotamien. Convaincus de l’excellence de leur civilisation, les Sumériens ne prirent conscience que trop tardivement que leur modèle n’était pas viable.

L’épée de Damoclès de l’épuisement des ressources naturelles (pétrole, gaz et charbon) et du dérèglement climatique ne pèse plus aujourd’hui sur une région du monde mais sur l’ensemble de la planète. Le boiled frog syndromnous conduira -t-il à notre tour au bord du gouffre·?

Les signaux d’alerte se sont multipliés depuis une dizaine d’années. Intensification des cyclones dans l’Atlantique équatorial, vague de chaleur sur l’Europe occidentale en 2003, rétrécissement de la couverture neigeuse, amorce de fonte de la calotte glacière du Groenland et de l’Antarctique, inondations, sécheresses intenses et persistantes. Ces phénomènes censés ne survenir en moyenne qu’une fois par siècle se sont multipliés depuis une vingtaine d’année. Pour les qualifier, les scientifiques parlent de réchauffement global. La température à la surface de la terre a augmenté de 0,8 degrés au cours des cent dernières années, et plus précisément de 0,6 degrés au cours des trois dernières décennies.

Une majorité écrasante de chercheurs du monde entier attribue le réchauffement climatique d’abord à l’utilisation à grande échelle de combustibles fossiles. Ensuite, et dans un second temps, à l’agriculture, à l’urbanisation, à la déforestation et à la désertification.

Ce diagnostic on ne peut plus clair émane d’une communauté de spécialistes qui fait largement autorité : le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) auquel a été attribué en octobre dernier, conjointement avec Al Gore, le Prix Nobel de la Paix 2007. Cette structure réunissant des milliers de scientifiques issus de plus de cent pays a été créée en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations-Unies pour l’environnement après les deux premières conférences mondiales sur le climat de 1979 et 1985 qui avaient mis en lumière le risque d’un réchauffement climatique.

La mission du GIEC·? Etablir à partir des informations scientifiques disponibles un diagnostic sur les aspects scientifiques, techniques et socio-économiques des changements climatiques.

Le GIEC a produit quatre rapports en 1990, 1995, 2001 et 2007. Ceux-ci insistent tous, de façon de plus en plus affirmée, sur le fait que ce sont les activités humaines qui ont modifié l’environnement planétaire en émettant de plus en plus de gaz à effets de serre et d’aérosols.

Le rapport remis en début d’année 2007 confirme que les concentrations en gaz carbonique, en méthane et en protoxyde d’azote, en continuelle augmentation depuis 1750 (date de la révolution industrielle et du début de la course aux énergies fossiles) ont atteint des niveaux jamais rencontrés depuis 650 000 ans.

Le réchauffement est, selon eux, sans équivoque. On l’observe dans l’atmosphère mais aussi dans l’océan comme au sommet des montagnes dont les glaciers fondent. Si l’on établit un palmarès des années les plus chaudes depuis 1860, arrivent en tête onze des douze dernières années. Les années 1990 correspondent à la décennie la plus chaude de la période 1860 à nos jours.

Le GIEC prédit une hausse de 1,8 à 4 degrés de la température moyenne planétaire d’ici à 2100. Et une élévation du niveau de la mer qui pourrait être comprise entre 18 et 59 centimètres. Il pourrait même atteindre les 90 centimètres. Au Bangladesh, une élévation d’un mètre du niveau de la mer réduirait la surface de terre utilisable de leur pays de 60%. Le scénario serait sensiblement le même pour de multiples petits états insulaires qui verraient, eux, leurs terres diminuer d’environ 50%.

Parmi les principaux responsables de ce réchauffement figurent le gaz carbonique provenant du rejet des combustibles fossiles, les particules microscopiques appelées aérosols et le méthane qui résulte lui aussi des activités humaines (combustibles fossiles, bétail, culture du riz et décharges). La concentration de ce dernier a progressé de 150% en 250 ans.

C’est dans la cryosphère qui occupe les régions les plus froides du globe (températures inférieures à 0 degrés) que le réchauffement est le plus rapide. En Alaska et dans l’Ouest Canadien, les températures moyennes hivernales ont cru de 3 à 5 degrés au cours des trente dernières années (contre + 0,6 degrés d’élévation de la température moyenne globale).

Les glaces de mer (pellicules d’eau gelées de façon permanente ou saisonnière) ont un pouvoir réfléchissant tel que 90% de l’énergie solaire retourne vers l’espace (contre 30% pour un océan non gelé). C’est dire que la moindre variation de leur étendue affecte le climat et l’environnement en modifiant l’humidité et la salinité des océans…Mais aussi et surtout la circulation océanique. Un effondrement de celle ci pourrait avoir des effets catastrophiques. En témoigne le brusque refroidissement qui survint il y a 8200 ans… suite à une période de réchauffement de la planète semblable à celui que nous connaissons aujourd’hui. «·Pendant cet «·épisode 8200·» des hivers rigoureux en Europe ont entraîné la progression des glaciers, le gel des rivières et une moindre fertilité agricole», écrivent Peter Schwartz et Doug Randall, auteurs du Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique. Leur scénario visant à «·imaginer l’inimaginable afin de s’y préparer·» prédit, à titre d’exemple en Europe, dans la première moitié du XXIe siècle, un climat proche de celui de la Sibérie. Quel crédit peut-on accorder à ce rapport? «·Les scientifiques pensent qu’un arrêt du courant marin en 2020 est extrêmement peu probable, souligne Jean-Marc Jancovici, ingénieur-conseil énergie et climat. Si cela arrivait, cela déboucherait sur une catastrophe majeure, » confie-t-il néanmoins.

Où en est-on aujourd’hui ? En Arctique, le volume et l’étendue des glaces polaires a diminué d’environ 25% en été durant les 20 dernières années. Les glaciers d’Alaska fondent à un taux accéléré tout comme le Groenland dont la fonte a progressé de 17% entre 1979 et 2002.

Même constat dans la majorité des glaciers de montagne dans les Alpes, en Himalaya, en Islande, comme dans les massifs andins ou en Patagonie.

Les impacts sociaux de la disparition des glaciers risquent d’être considérables. Plus d’un milliard d’être humains dépendent de l’eau qu’ils libèrent en fondant pour leur agriculture ou leurs ressources hydroélectriques. Aux graves pénuries d’eau que pourraient connaître des régions comme l’Himalaya, les Andes et une partie de la Chine pourraient ses surajouter des risques sismiques ou volcanique dans ces régions stabilisées, d’un point de vu tectonique, par le poids de la glace.

Les scientifiques soulignent presque unanimement qu’il y a urgence à agir. L’impératif premier est de réduire notre consommation d’énergie fossile «·de 80%·», insistent-ils. Et de se tourner vers des sources d’énergie à faible teneur en carbone. Pour l’instant, la nature nous apporte une aide extraordinaire en réabsorbant, dans les océans et l’éponge terrestre, 50% du CO2 que nous émettons. Mais qu’en sera t-il dans quelques décennies·? Le carbone emprisonné dans le sol gelé du permafrost est une réelle source d’inquiétude. D’énormes quantités de CO2 pourraient être libérées dans l’atmosphère si le climat des régions polaires se réchauffait. «·Il y a une urgente nécessité à fournir une réponse humaine avisée aux défis menaçants qui s’annoncent », martèle Jean-Louis Fellous, expert du Centre national d’étude spatial qui copréside la Commission mondiale d’océanographie et de météorologie marine.

«·Là où est le danger, croît aussi ce qui sauve, » écrivait Hölderlin… il y a un siècle et demi.

 

 

 

 

·Entretien avec Jean-Marc Jancovici

Faut-il croire tous ceux qui s’expriment sur le climat·?

 

Jean-Marc Jancovici, ingénieur-conseil énergie et climat qui a participé à la rédaction du Pacte écologique de Nicolas Hulot s’attaque, ici, aux pseudos ouvrages scientifiques sur le changement climatique dont le nombre croît plus vite que l’effet de serre.

 

Quel crédit peut on accorder aux multiples ouvrages publiés ces dernières années dont ceux d’Allègre et de Lomborg qui nient le réchauffement climatique ou remettent en cause la responsabilité de l’homme sur cette question ?

Ces personnes s’invitent dans un débat pour lequel ils n’ont aucune compétence scientifique. Les auteurs auxquels vous pouvez légitimement faire confiance sont ceux qui ont publié dans des revues scientifiques à comité de lecture le fondement de ce qu’ils avancent.

Ni Claude Allègre, ni Bjorn Lomborg ne correspondent à cette définition. Ce que soutient Bjorn Lomborg dans L’écologiste sceptiquesur le chapitre climat est invalide sur le fond mais peut faire illusion sur la forme. Cela ressemble beaucoup plus à un raisonnement scientifique que le travail de Claude Allègre qui est lui parfaitement grotesque. «·Ma Vérité sur la planète·» n’a rien de scientifique, et on peut même utiliser le terme d’escroquerie. Si Allègre avait une démarche scientifique, il traduirait correctement les gens qu’il cite, il ne se contredirait pas d’un chapitre à l’autre, et surtout il baserait ses arguments sur des travaux publiés dans la littérature scientifique.

Or Claude Allègre n’a jamais publié le moindre article faisant suite au moindre travail technique sur le sujet du réchauffement climatique qu’il conteste. C’est pareil pour l’énergie·: Allègre «·prédit·» l’approvisionnement pétrolier futur avec un optimisme que pas un ingénieur pétrolier de ma connaissance ne partage. Il a une démarche qui est a-scientifique, non scientifique, mais son lecteur ne s’en rendra pas compte, parce que très peu de gens lisent la littérature scientifique·! On peut avoir envie de croire Claude Allègre, comme un malade auquel le médecin annonce qu’il a le cancer a envie de croire que le médecin s’est trompé de dossier, que le scanner a eu une panne, etc, mais cela repose sur une envie et non sur des faits.

 

Peut-on lutter efficacement contre le réchauffement climatique sans remettre en cause le dogme de la croissance ?

La question est de savoir si l’on peut maintenir une croissance économique tout en diminuant la pression matérielle sur notre environnement. Il s’agit d’un débat sur les vitesses d’évolution respectives. Peut-on «·décarboner·» l’économie plus rapidement que la progression du taux de croissance de celle-ci·? Il n’est pas du tout dit que la réponse soit positive. Et c’est un vrai débat, parce que les émissions vont finir par baisser de toute façon·: les hydrocarbures sont en quantité limitée. Et quel serait «·le plan B·» si l’économie se mettait à décroître de façon significative sur une longue durée pour des raisons physiques·? Comment préserverait t-on dans un tel contexte la démocratie, la paix sociale et un taux de chômage acceptable·? Le sujet est majeur, et la pauvreté de la réflexion prospective sur ce sujet est dramatique.

 

Propos recueillis par Eric Tariant

 

Lire·:

*Comprendre le changement climatique, sous la direction de Jean-Louis Fellous et Catherine Gautier (Odile Jacob 2007)

 

*Urgence planète terre. L’esprit humain face à la crise écologique par Al Gore (Editions Alphée)

 

*Le choix du Feu. Aux origines de la crise climatique par Alain Gras (Fayard 2007)

 

*Le changement climatique par Guy Jacques et Hervé le Treut (Editions Unesco 2004)

 

*Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique (Allia. 2006)