Vue de_Visby__Gotland

 

Aujourd’hui surtout connue pour ses plages bordées de dunes, ses cotes rocheuses, et ses pimpantes maisons de bois, Gotland est la plus grande des îles suédoises. Il y a près de vingt ans, pari fou, elle s’est fixée pour objectif de s’émanciper complètement des énergies fossiles d’ici 2025. D’ici peu, nul doute que des flots d’écotouristes s’y rendront, cahiers de vacances sous le bras, pour étudier ses smart grid, bâtiments chauffés à l’eau de mer et autres véhicules roulant au biogaz.

 

Per Olof Jacobsson n’a jamais eu les deux pieds dans le même sabot. Agriculteur et élu local, il fut aussi longtemps président du Comité régional chargé de la planification et de la construction des éoliennes à Gotland. Et guide touristique à ses heures. En 1980, un an après l’accident choc de Three Mile Island aux Etats-Unis, la Suède décidait par référendum de sortir du nucléaire « à une échelle de temps raisonnable ». En 1983, le premier parc éolien voyait le jour à Gotland, à Nässuden sur son bout de péninsule, au milieu des moutons à corne et des canards sauvages. Des cars de touristes écolo affluaient de toute la Suède. Propriétaire exploitant de 140 hectares de terres, partagé entre son troupeau de vaches et ses cultures de betteraves à sucre, Per Olof prenait le temps de cornaquer ses visiteurs d’un jour, leur expliquant le b.a.b.a de l’éolien et le pourquoi de ses investissements dans ces drôles de turbines. « Au début, j’en avais dix sur mes terres. Aujourd’hui, je n’en ai plus que deux qui produisent trois fois plus d’électricité que celles de la première génération,» lance t-il, tout fier, au volant de son pick-up roulant au biogaz. La piste caillouteuse qui longe la mer est jalonnée de quelques baraques de pêcheurs en bois et de dizaines d’immenses mats moulinant de concert sur fond de ciel bleu azur.

Per Olof Jacobsson a été l’un des premiers Gotlandais à investir dans l’éolien au début des années 1980, à une période où les banques faisaient la sourde oreille. Aujourd’hui, 2000 petits actionnaires sont propriétaires de plus de la moitié des 170 mats plantés sur l’île. Les autres appartiennent à des entreprises privées et des investisseurs.

 

Eoliennes et églises médiévales

« La Suède est l’un des pays européens les mieux lotis pour l’éolien. L’exposition au vent est 20 à 25 % plus importante qu’en Allemagne, » martèle Lars Thomsson, le coordinateur régional, dans un anglais rocailleux et guttural.

En 2014, plus de 40 % de l’électricité qui alimente les foyers et entreprises de Gotland est issue de l’éolien. En 2025, le seuil de 60 % devrait être atteint. Une puissance installée tout à fait exceptionnelle, supérieure en pourcentage à celles du Danemark (30%) et de l’Espagne (20%), pourtant en pointe dans ce secteur.

Perdue au centre de la mer Baltique à quelques 100 kilomètres de la cote et à autant des pays baltes, Gotland est la plus grande des îles suédoises (3100 km2). Plus de 57 000 personnes vivent sur ces terres verdoyantes au milieu de forêts de sapins, de champs de moutons et d’églises médiévales. Près de la moitié des Gotlandais habitent à Visby, un ancien port d’attache des Vikings. Chaque année quelques 500 000 touristes –en grande majorité suédois- gagnent ce petit paradis relié au continent par la mer et les airs.

Célébrés pour leurs carottes bio qui font fureur dans tout le pays et pour leurs turbots tirés de la Baltique, les Gotlandais sont restés proche de la terre mère. C’est l’agriculture et la pêche qui emploient le plus d’iliens (33%), suivis par les services publics et autres services à la personne (21%).

Dans le sillage du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro (1992), les autorités locales ont souhaité apporter une pierre supplémentaire à la lutte contre le changement climatique et faire de Gotland un modèle de développement véritablement durable. La Région a placé la barre très haut : s’émanciper complètement des énergies fossiles d’ici 2025. Ici, on croit dur comme fer à l’éco-efficacité, à la possibilité de découpler croissance économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre. « C’est la seule voie qui s’offre à nous », sourit Helena Andersson, l’éco-stratège –c’est son titre- en nous accueillant dans son bureau paysager niché dans un des immeubles en briques rouges de la Région. La cinquantaine joviale et le sourire facile, Helena comme beaucoup de Gotlandais a deux métiers : agricultrice -elle élève des vaches- et fonctionnaire. Ils sont près de 6 000 agents publics au service de l’institution. A eux de montrer l’exemple et de susciter l’adhésion de la population. Bâtiments publics économes en énergie, parc de véhicules roulant en partie au biogaz, menus des cantines et restaurants publics composés à 25% d’aliments bio…

Résultats ? Depuis 1995, les autorités ont réduit de 50% leurs émissions de C02 dans leurs secteurs d’intervention. Et aujourd’hui, 45% des énergies brûlées dans l’île sont renouvelables. Mais, beaucoup reste encore à faire pour que Gotland devienne, en 2025, une île entièrement verte. Ce, particulièrement, dans les secteurs du logement, des transports et de l’industrie, les plus émetteurs de gaz à effet de serre.

 

Biomasse et pompes à chaleur

Deux cheminées, longs crayons cylindriques clairs, se détachent dans le ciel bleu de Visby. Au loin, la mer. A leurs pieds, des petits cônes alignés sur le bitume -des tas de copeaux de bois et autres résidus forestiers- attendent d’être engloutis par les machines. Les cinq réseaux de chauffage de l’île, à l’image de celui de la capitale, carburent tous aux énergies renouvelables. A Slite, la centrale fonctionne grâce à l’eau chaude et au méthane dégagés par l’usine Cimenta, à Klintehamn à l’aide des résidus de la scierie locale…

« Les énergies fossiles ont complètement disparues de nos réseaux de chauffage urbain. Depuis 1990, les émissions de C02 ont diminué de 95%, et celles de sulfure de manière équivalente », insiste Jenny Larsson, la jeune directrice général de Gotlands Energie AB (GEAB), propriétaire du réseau et distributeur d’énergie.

Pour le solde, pompes à chaleur et chaudières à granulés de bois sont les solutions les plus prisées des propriétaires des pimpantes maisons de bois qui illuminent les prairies de leurs robes colorées.

Coté électricité, GEAB pourvoit déjà plus de 40 % des besoins de l’île grâce aux éoliennes qui ont, aujourd’hui, une capacité de 170 mégawatt. En 2025, la puissance installée atteindra 1000 mégawatt dont les deux tiers seront exportés. « Nous n’attendons plus que la nouvelle connexion sous marine avec le continent qui sera en place en 2018, les câbles électriques existants étant plafonnés à 195 mégawatts,» déplore Jenny Larsson.

D’ici onze ans, 500 éoliennes fleuriront sur les côtes de l’île. Des ONG environnementales et autres associations de protection des aigles protestent. « Elles sont laides et émettent un fond sonore qui perturbe les hommes et les animaux », vitupère Bror Lindhal, le fondateur d’une association d’opposants au tout éolien. Les résistances demeurent cependant limitées. Un système de compensation financière dédommage les riverains. Et la population, régulièrement informée et consultée depuis trente ans, reste à 80% favorable à celles ci.

Le principal frein au développement des énergies renouvelables demeure leur caractère intermittent. Sans vent, ni soleil pas d’énergie.

La solution viendra peut-être de Smart grid Gotland. Une expérimentation est actuellement en cours dans 2000 foyers et 20 entreprises pour trouver des réponses au caractère irrégulier de cette production et expérimenter des techniques de stockage de l’électricité.

« C’est une technique d’avenir. Avec elle, je peux arrêter mon lave linge quand il y a un pic de consommation. Et le remettre en route quand le réseau n’est plus sous tension», explique Bertil Klintbom, le directeur de la stratégie et des relations internationales de la Région, partie prenante de cette étude. Sa maison a été reliée au Smart grid et équipée de matériels lui permettant d’éteindre ou de mettre en route à distance son électroménager.

 

Biogaz et séquestration de carbone

Erigée en bord de mer, à une centaine de mètres du centre ville médiéval, la bibliothèque universitaire, beau rectangle de verre et de fer, est un des fleurons des bâtiments publics de Visby. C’est dans les eaux de la mer Baltique que les concepteurs du bâtiment sont allés puiser les degrés nécessaires pour chauffer le bâtiment en hiver et le rafraîchir en été. Des panneaux photovoltaïques en toiture complètent le tout afin d’approvisionner en électricité les pompes à eau.

Pour les nouvelles constructions, la consommation maximale est fixée à 50 kwh/m2/an. Côté bâtiments anciens, une équipe de techniciens chevronnés œuvre à optimiser les économies d’énergie. Leur mission ? Inspecter les 200 immeubles de la Région pour déceler leurs faiblesses. Après quoi, en fonction du diagnostic, des toitures sont isolées, des fenêtres ou des portes changées, des systèmes de ventilation et autres robinets avec économiseurs d’eau installés. Les résultats sont là. De 1997 à 2010, la consommation d’énergie pour chauffer les immeubles a baissé de 37% et celle d’électricité de 11%.

« Oui, nous pouvons être fiers de ce qu’a fait la Région en matière d’énergies. Mais, il faut aller beaucoup plus loin, tendre vers un changement de nos valeurs et de nos mentalités en misant sur la coopération et les synergies, s’insurge Robert Hall, le fondateur d’un éco-village au Sud de Visby. Les chercheurs n’ont encore jamais fait la preuve qu’une croissance réellement verte était possible ».

Les dernières bêtes noires de la Région de Gotland outre les écolos purs et durs ? Les émissions de dioxyde de carbone issues des transports routiers et celles de l’usine Cimenta. C’est dans ces secteurs que la pénétration des énergies renouvelables est la plus faible.

La solution côté transports ? Le biogaz fabriqué par méthanisation à partir des résidus organiques des fermes et des déchets ménagers. Dissimulée au milieu d’une forêt à quelques kilomètres de Visby, une première usine est entrée en exploitation début 2012. D’ici la fin de l’année, trois nouvelles stations services délivreront du biogaz sur l’île. Tous les bus et camions poubelles de Visby circulent déjà avec ce biocaburant. Et des études réalisées montrent que cette énergie non polluante pourrait alimenter 50% du parc de véhicules. Pour le solde, la Région compte sur le perfectionnement des voitures électriques.

Reste la cimenterie qui engloutit 50% des ressources énergétiques de l’île. Vœux pieu ? Cementa s’est engagé à ne plus émettre de C02 d’ici 2030. Pour y parvenir, Heilderberg cement, le groupe dont elle dépend, mise sur de nouveaux matériaux de fabrication et sur des techniques de séquestration de dioxyde de carbone.

L’objectif zéro émission de C02 en 2025 est il toujours d’actualité ? « Pour les transports, il est possible qu’il faille attendre 2030, sourit Steffaan de Maecker, membre de l’exécutif local encarté chez les Verts. Mais, nous pourrons toujours compenser nos émissions sur le marché carbone.»

Une certitude à l’heure des premiers bilans, la population et l’économie locale ont profité de ces vingt années d’investissements environnementaux. Plus de 300 emplois ont été créés et des centaines de millions d’euros irriguent désormais l’île au lieu de partir gonfler les profits des compagnies pétrolières. Un signe : Gotland est une des très rares îles suédoises qui continue de gagner des habitants, année après année.

 

 

Eric Tariant

 

 

Pour aller plus loin :

www.gotland.se : le site de la Région de Gotland

www.gotland.info : pour des informations d’ordre touristique

www.visitsweden.com : le site de l’Office suédois du tourisme

 

Séjourner à Gotland et en Suède:

Baisses des émissions de C02 de 65 %, diminution de 20% de la consommation d’énergie depuis 1996. La chaîne d’hôtel Scandic, particulièrement en pointe dans le domaine du développement durable, s’est fixée pour objectif de ne plus émettre de carbone d’ici 2025. Un hôtel de plus de 200 chambres, Scandic Visby, est installé à proximité du port ferry de Gotland.

www.scandichotel.com

 

Rejoindre Gotland depuis la Suède continentale en ferry ou par avion :

www.destinationgotland.se/en/