Environnement : le top model suédois

 

Précurseur sur le terrain du développement durable, la Suède mène une politique environnementale exemplaire. Nombre de pays européens pourraient s’en inspirer avec profit.

Enviée pour sa compétitivité, la vitalité de sa démocratie, le fonctionnement de son marché du travail, son espérance de vie - une des plus élevées au monde – ou la générosité de sa protection sociale, la Suède fascine nos élites politiques. François Fillon, Eric Woerth et Dominique Perben s’y sont rendu, tour à tour, courant 2007. Ségolène Royal les y avait précédés en juillet 2006… «·L’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin », s’amuse un haut fonctionnaire de la ville de Stockholm. En matière environnementale, le royaume nordique est indubitablement passé au vert dès les années 1970. Moins connu que son modèle social, sa politique dans ce domaine s’avère exemplaire, elle aussi, à bien des égards.

 

La Suède figure parmi les très rares nations industrialisées à avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre - de 9 % entre 1990 à 2006 -, tout en enregistrant une croissance économique forte. En moyenne, chaque habitant rejette aujourd’hui 5,8 tonnes de dioxyde de carbone par an dans l’atmosphère, contre 8,6 tonnes pour un Européen et 19,7 tonnes pour un Nord-Américain. Ces bons résultats tiennent, certes, à ses ressources hydroélectriques abondantes mais aussi à une politique volontariste et ambitieuse de ses pouvoirs publics.

La Suède, en effet, n’a pas attendu le rapport Bruntland de 1987 pour s’intéresser au développement durable. Préoccupée par la destruction rapide des ressources naturelles, elle a été l’instigatrice de la première conférence des Nations Unies sur l’environnement qui s’est tenue en 1972 à Stockholm. Durement touchée par la crise pétrolière des années 1970, elle a également massivement investi dans la recherche sur les énergies alternatives, bien avant la plupart des pays européens, pour réduire sa dépendance à l’égard des ressources fossiles. Dans le même temps, elle instituait des taxes élevées sur les produits pétroliers qui ont encouragé la société civile et les industriels à se tourner vers les énergies et les carburants renouvelables.

Résultat·: en 2006, le pétrole ne fournissait plus que 32% de son approvisionnement en énergie contre 75 en 1970. Et le pays entend bien sortir complètement des énergies fossiles d’ici 2050. Aujourd’hui, il se place déjà parmi les leaders mondiaux du marché de l’éthanol, investi dès les années 1980. Et ses chercheurs se penchent sur les biocarburants de deuxième génération de façon à produire de l’éthanol à partir de lignocellulose·: bois, paille, herbe… Un procédé plus efficace et qui, de plus, n’affecte, pas les cultures alimentaires. «·Grâce aux résidus de l’industrie forestière et à ceux de l’industrie agroalimentaire notamment, les plus efficaces et les plus avantageux d’un point de vue économique, nous avons triplé notre production de biocombustibles en l’espace de 30 ans et nous n’avons plus aucun besoin d’utiliser des terres agricoles pour produire de la biomasse » se réjouit Tomas Kaberger, le directeur de l’Agence Suédoise de l’énergie.

De toutes façons, les solutions alternatives ne manquent pas. A Linköping, par exemple, septième agglomération suédoise située au Sud du pays, bus, taxis, camions poubelle et trains fonctionnent au biogaz. Celui-ci est fabriqué à partir du gaz généré par le traitement des eaux usées de la station d’épuration et du méthane produit par les déchets des abattoirs ou des usines agroalimentaires environnants. A cet effet, une station de traitement des déchets organiques a été créée, il y a une dizaine d’années. Rien n’est perdu·: les déchets traités partent fertiliser les champs des agriculteurs et le gaz épuré est livré aux stations services.

Cogénération non spontanée

Pionnière dans le domaine de la fiscalité verte, la Suède a également introduit, dès 1991, une taxe carbone sur les consommations d’énergie. Le coût de la tonne de CO2 était de 27 euros. Elle atteint dorénavant 108 euros. Une mesure très efficace, renforcée par de gros investissements en termes d’information et de conseils sur la maîtrise de l’énergie à l’intention des ménages. Chaque commune dispose même d’un conseiller dédié auquel les habitants peuvent s’adresser. Depuis cette date, tandis que la croissance économique s’élevait à 48 %, les émissions de gaz à effet de serre de la Suède ont diminué de 8 %. Parmi les leviers les plus efficaces en la matière, on trouve la généralisation des centrales de cogénération pour la production combinée de chauffage urbain et d’électricité. Leur principe·: récupérer la chaleur dégagée par la combustion de matière renouvelable, des déchets par exemple, pour produire de l’énergie. Dans le secteur du bâtiment, ce système a ainsi permis aux Suédois de remplacer en grande partie l’utilisation de pétrole par des réseaux de chauffage urbain à base de biocombustible. C’est ce procédé qui fait tourner la chaufferie centralisée d’Hammarby Sjöstad, un des fleurons des écoquartiers suédois, construit sur une friche industrielle et portuaire au Sud de Stockholm. L’énergie y est produite localement par la combustion des déchets et par le retraitement des eaux usées transformées en biogaz. La collecte des déchets est réalisée dans des bouches d’aspiration situées en bas des immeubles. Ces derniers sont attirés sous terre avant d’être acheminés, grâce à un système de tapis roulant, vers un centre de retraitement. Finie la collecte des ordures par des camions bruyants, odorants et polluants.«·Aujourd’hui, nous recensons plus de 100 installations de ce type à Stockholm. Plus de 130·000 ménages utilisent cette technologie dans la capitale,» souligne Jonas Törnblom, le PDG d’Envac, société spécialisée dans le traitement automatisé des déchets.

Autre objectif, très classique mais plus difficile à mettre en œuvre qu’il n’y paraît·: la réduction de l’usage de la voiture et le développement des modes de transports propres. Dans la capitale, près de 80% des habitants se rendent à leur travail en transports en commun, contre 64% à Paris. Et l’usage du vélo y aurait progressé de 70% depuis dix ans. Aux heures de pointe, il est assez piquant d’observer les bicyclettes, chevauchées par des costumes-cravates et des tailleurs, s’agglutiner sagement derrière les feux rouges. «·Nous n’avons aucune place de parking aux pieds de notre immeuble mais en revanche notre agence est équipée de deux douches à la disposition des salariés » souligne Yves Chantereau, architecte au sein du cabinet suédois Equator.

Forte de ces bons résultats la municipalité a, poursuivi sur sa lancée. En août 2007, elle a mis en place un péage urbain, qui a permis de réduire encore le trafic routier et d’accroître la fréquentation des transports publics. Elle fait feu de tout bois pour développer les véhicules verts. En centre-ville, tous les bus circulent grâce aux énergies renouvelables, biogaz ou éthanol, contre 10% seulement à paris. D’ici la fin de l’année 2010, la totalité des 1200 véhicules de la flotte municipale seront propres·: électriques, hybrides, fonctionnant aux biocarburants ou faiblement émetteurs (moins de 120 g de C02 par km). Les particuliers se voient par ailleurs proposer des primes de 1000 euros pour l’achat d’une voiture propre. Des taxes plus légères et des parkings gratuits leur sont également réservés.

Cet arsenal aurait de forte chance de faire chou blanc sans l’adhésion et la coopération des habitants. Heureusement ici, l’homme de la rue cultive un rapport à la nature plus fort, plus ancien et plus ancré qu’ailleurs. Est-ce le fruit de la faible densité d’une population (22 habitants au km2) éparpillée sur un territoire à moitié couvert de forêt, de montagnes, de lacs ou de rivières·?. «·Les Suédois sont plus attentifs que les autres aux questions environnementale. C’est une préoccupation très diffuse et très consensuelle, partagée par toute la société·: particuliers, entreprises et pouvoirs publics », analyse Yves Chantereau, architecte français installé en Suède depuis vingt ans. «·Ici, il serait inconcevable, immoral même, d’agir aux dépens de l’environnement. Les enfants sont sensibilisés très jeunes, dès l’école, à la protection de la nature et des animaux.·» Il suffit de se promener dans Stockholm, construite sur plusieurs îles et à l’embouchure du lac Mälar, pour prendre conscience de cette particularité. Fait rare dans une capitale occidentale, il est possible de se baigner et de pêcher en plein centre ville. Son écoparc qui s’étend sur plus de 10km de long, autour et à l’intérieur de la capitale, constitue le premier parc national urbain au monde. Sur ses collines plantées de chênes, il n’est pas rare de croiser des chevreuils, des élans et des lièvres. Et l’eau du robinet de la cité y est l’une des plus propres au monde.

Dans cette très ancienne sociale démocratie, largement centenaire, le débat participatif est par ailleurs profondément inscrit dans les gênes des citoyens. «·Il s’apprend dès l’école. Les habitants sont habitués à se réunir, à débattre, à s’écouter les uns les autres et… à se mettre d’accord. Se couper la parole, ici, est considéré comme très impoli. Mais il est vrai que nous avons un tempérament plus souple, moins velléitaire que les Français. Nous sommes un peu surgelés·! », remarque Kerstin Bergstedt, enseignante à la retraite. Une disposition qui en tous cas facilite grandement l’optimisation et la rationalisation des ressources, dans le domaine du développement urbain notamment. Considérer l’espace de la ville comme un tout permet de privilégier une approche holistique et d’identifier suffisamment en amont les synergies entre les différentes activités - transports, énergies, gestion des déchets et des eaux usées - de façon à optimiser le tout.

Cette philosophie parviendra-t-elle à gagner de nouveaux adeptes hors de la péninsule scandinave ? C’est le pari de Symbiocity, plate forme d’exportation des technologies suédoises, conceptrice d’Hammarby, qui a vu ses concepts inspirer la future EcoZac des Batignolles à Paris ainsi que plusieurs projets de quartiers durables en Chine et en Afrique du Sud. Et c’est surtout le pari du gouvernement suédois. A la tête du Conseil des ministres de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre prochain, celui-ci entend bien se placer en première ligne, lors des négociations du Sommet de Copenhague du 7 au 18 décembre sur le changement climatique*, pour défendre sa vision ambitieuse du développement durable. Pour ce faire il dispose d’un argument de poids·: son mode de développement économique caractérisé par une empreinte écologique plus faible qu’ailleurs. «·Croissance économique et protection du climat sont compatibles.·L’éco-performance est même la seule manière de s’en sortir », martèle Loïc Viatte, conseiller du ministre suédois de l’environnement pour les questions européennes.

En témoigne notamment la bonne santé des industries forestières suédoises qui ont su inventer des technologies permettant de conjuguer valorisation de la biomasse forestière, efficacité énergétique et compétitivité. Dans le pays, on ne compte plus les scieries et les usines de papier chauffant les villes où elles sont implantées grâce à ses déchets considérés, il n’y a pas si longtemps, comme non valorisables. «·Nos industries forestières reposent désormais entièrement sur les biocombustibles pour assurer leurs besoins énergétiques. Elle ont été totalement épargnées par la flambée du prix du pétrole à plus de 140 dollars le baril durant l’été 2008, se félicite Tomas Kaberger. Quand leurs concurrents européens et nord américains, dépendants du gaz naturel pour faire tourner leurs usines, voyaient fondre leur compétitivité, les industries forestières suédoises gagnaient des part de marché. » Ce modèle inspirera-t-il les délégations européennes nombreuses à faire étape sur les bords de la Baltique en cette période de présidence suédoise ? Il n’est pas interdit d’espérer.

 

* Il définira les suites à donner au Protocole de Kyoto pour les années 2012-2020.

 

Pour en savoir plus·:

www.visitsweden.com : le site de l’Office suédois du tourisme

www.stockholmtown.com : le site de la ville de Stockholm

www.se2009.eu : le site de la Présidence suédoise de l’Union européenne

www.symbiocity.org

Lire : Le modèle suédois, un malentendu·?, de Benjamin Huteau et Jean-Yves Larraufie (Mines. Paris Tech. Les presses 2009).

A European Eco-Efficient Economy. Governing climate, energy and competitiveness. Une publication de l’Institut suédois de l’environnement. Web : www.sei.se

Séjourner en Suède:

Comptoir des pays Scandinaves, le spécialiste du voyage sur mesure en Scandinavie, propose des séjours, courts ou longs, selon votre budget.

Tél·: 0892 237 337 *(0,34€/mn) et www.comptoir.fr

Le modèle scandinave·: de Stockholm à Helsinki (encadré)

Plusieurs des écoquartiers qui ont essaimé, depuis une dizaine d’années, à travers l’Europe, se situent dans les pays d’Europe du Nord, à Copenhague, Malmö, Stockholm et Helsinki. Si vous voyagez en Suède, faites un petit crochet par Helsinki, l’occasion d’une agréable croisière en bateau, pour visiter Eco Viikki. Situé à 8km au sud d’Helsinki, cet écoquartier a été construit à proximité d’une vaste zone agricole qui constitue la ceinture verte de la capitale finlandaise. La plupart des habitations (petits immeubles et maisons en bande) de cette ville nouvelle de 2000 habitants sont construites en bois. Celles-ci sont chauffées et fournies en électricité par un réseau de chauffage urbain par cogénération, complété par des panneaux photovoltaïques, des installations solaires thermiques et géothermiques.

www.hel.fi/ksv

Y aller·: la Compagnie Tallink & Silja line assure des dessertes régulières en ferry depuis le port de Värtahamnen de Stockholm jusqu’au terminal Olympia d’Helsinki. www.tallinksilja.com