Avez-vous lu «·les Jours heureux·», le texte fondateur du Conseil national de la Résistance·? Publié en mars 1944, ce programme ambitieux de réformes économiques et sociales, à l’origine de notre fameux «·modèle social français·», est un des fondements de notre Pacte social.

On lui doit la création de la Sécurité sociale, des retraites par répartition, de véritables services publics, l’éviction de la direction de l’économie des grandes féodalités économiques et financières,

la démocratisation de la vie de l’entreprise en faisant des syndicats des partenaires sociaux à part entière et l’instauration d’une presse libre.

Ce texte vient d’être republié par les éditions de la Découverte à l’initiative de l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui. Cette contre-offensive fait suite à plusieurs visites effectuées en 2007, 2008 et 2009 par Nicolas Sarkozy sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie, pour y saluer la mémoire des maquisards tués, en mars 1944, par les nazis et les miliciens français et apparaître ainsi comme l’héritier de la Résistance et de son programme.

 

Or, une bonne partie de la politique menée par l’actuel président de la République vise à accélérer la démolition de cet édifice déjà bien mis à mal depuis les années 1980. Denis Kessler, l’un des idéologues du MEDEF, a révélé, en octobre 2007 à l’occasion d’une interview, la logique secrète des réformes menées par Nicolas Sarkozy. «·La liste des réformes·? C’est simple, prenez toute ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la résistance.·»

Après un chapitre reproduisant le texte intégral du programme du CNR et un autre consacré à son analyse, l’ouvrage «·Les Jours heureux·» publié au mois de mars dernier par les éditions de la Découverte revient, secteur après secteur -sécurité sociale, retraite, services publics, presse, droits des salariés-, sur l’entreprise systématique de démolition de ce édifice. Nous avons choisi de publier ci-dessous quelques extraits de ce livre montrant comment l’héritage du CNR a été torpillé par les élites politiques françaises. Ces analyses sont suivies de quelques extraits des interventions des anciens résistants Stéphane Hessel et Raymond Aubrac, prononcées sur le Plateau des Glières lors d’un rassemblement organisé par l’association Résistants d’hier et d’aujourd’hui. Ces grands témoins appellent à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et de ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.

 

«·Les jours heureux. Le programme du Conseil national de la Résistance de mars 1944·: comment il a été écrit et mis en place et comment Sarkozy accélère sa démolition·».

EXTRAITS.

Sécurité sociale·: les travaux de démolition ont commencé.

Si bien qu’à partir du printemps 2008, c’est par touches successives, selon la méthode éprouvée de Philippe Douste-Blazy, qu’est poursuivi le dépeçage de l’assurance-maladie, de déremboursements de médicaments en hausse du forfait hospitalier (de 16 à 18 euros en 2010). En toute discrétion, un protocole d’accord est signé le 28·juillet 2008 entre le gouvernement et les organismes complémentaires, leur permettant d’espérer l’accès aux données de santé des Français en échange d’une taxe d’un milliard d’euros sur leur chiffre d’affaires. Chaque discours ministériel insiste sur leur nécessaire participation aux côtés de la Sécurité sociale à la «·gestion du risque·», ce que dénoncent notamment les associations de malades représentées au sein du Collectif interassociatif sur la santé.(..)

Le système est donc chaque jour davantage accaparé par des entreprises commerciales, loin des fondements éthiques de 1945. Des entreprises dont la règle d’or est la sélection des risques, ce qui revient à couvrir en priorité les jeunes bien-portants à des tarifs raisonnables et à surtaxer les malades et les personnes âgées, quand ils ne sont pas carrément radiés. L’équation idéale d’un business juteux pour les actionnaires. Qu’en sera-t-il à l’avenir, si ces assurances privées sont prépondérantes, pour les personnes malades aux faibles revenus·? Il pourrait leur être bien difficile de trouver une compagnie qui les accepte ou qui ne leur demande pas un pont d’or hors de portée. (…)

Cette donnée masque l’ampleur du désengagement pour les patients ordinaires, notamment en médecine de ville, où la part de la Sécurité sociale est passée sous la barre des 50·% avec la loi Douste-Blazy (consultations et examens hors hôpital). Or ce sont les soins courants qui sont souvent essentiels pour détecter au plus tôt ou même éviter des maladies graves.

Ce retrait du système solidaire, s’il n’affecte pas les couches aisées de la population, peut avoir des conséquences dramatiques pour les millions de personnes qui, faute de moyens suffisants, n’ont pu souscrire qu’à une mauvaise complémentaire ou en sont carrément dépourvus (8·%). Nombre d’entre elles déclarent renoncer à des soins pour des raisons financières, notamment en optique et dentaire·; mais aussi, de plus en plus souvent, en médecine de ville en raison des dépassements d’honoraires et des déremboursements de médicaments et à l’hôpital en raison du forfait hospitalier. (…)

 

Nicolas Sarkozy et la mise en pièces systématique des droits du salarié

Au moment de son élection à la présidence en 2007, le paysage social est déjà profondément abîmé. Mais ce sera le domaine où il interviendra le plus, où son action sera la plus régressive. Exonération des heures supplémentaires, loi sur le travail dominical, droit de négocier un licenciement, allègements des mesures pour favoriser le travail des handicapés, fiscalisation des indemnisations des accidents du travail·: tout ce qui ressemble à une sécurité, à une garantie, à des pratiques protégeant les salariés et instituées parfois depuis le début des années 1900 est attaqué, mis à mal, réduit en pièces. Le recul est général. La France va même jusqu’à reconnaître sans barguigner la nouvelle durée maximum du travail légale promulguée par la Commission européenne·: 65·heures hebdomadaires. La semaine de 48·heures avait été adoptée en... 1919. (…)

 

«·Résister, c’est refuser d’accepter le déshonneur·»

Puis Raymond Aubrac prend la parole. L’ancien résistant évoque le besoin ressenti par tous «·non seulement d’un programme commun, mais aussi de projets communs·»·: «·Voilà une des grandes lacunes de notre temps et de notre pays. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, dans un monde de plus en plus complexe. Il nous faut ces projets, par respect pour ceux qui se sont battus pour élaborer cette promesse d’avenir. Il nous faut aussi cet optimisme que partageaient tous les résistants, sans exception, et qui les persuadait d’être, à travers tant de dangers, avançant vers leur but·: plus de liberté, plus d’égalité, plus de fraternité. Voilà ce que nous devons transmettre aux jeunes…·» (…).

 

Stéphane Hessel·: créer partout des réseaux de solidarité

Dans un discours improvisé, prononcé avec une belle force de conviction, Stéphane Hessel trace des pistes pour défendre «·nos valeurs de Français républicains et progressistes·»·: «·Comment vous, femmes, hommes, enfants, jeunes, qui êtes réunis dans ce site magnifique, comment vous y prendre·?·» Sa réponse est simple·: «·C’est en créant partout des réseaux de solidarité. Il y en a un qui m’est particulièrement cher, c’est RESF, Réseau Éducation sans frontières, qui agit partout dans le pays et qui défend ceux qui ont très besoin d’être défendus.·»

Il invite à lutter contre la «·scandaleuse législation qui parle d’un délit de solidarité·» et, martelant ses mots·: «·Vous seriez punissable, vous vous exposeriez à des sanctions parce que vous auriez eu l’immédiate et simple réaction devant des gens en difficulté de leur venir en aide·! Ça, c’est le type d’actions qui font douter de la responsabilité exercée par nos ministres et par notre gouvernement. Se sentent-ils encore responsables·? Je l’espère encore, mais j’en suis de moins en moins sûr…·» Responsables de «·ne pas faillir aux valeurs qui font de ce pays un pays particulier, un pays exemplaire, un pays qui a connu le démarrage des droits de l’homme en 1789, qui a donné naissance à l’homme qui a joué le rôle le plus important, René Cassin, dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le seul texte qui a cet adjectif “universel”, nous en sommes tous coresponsables·»·!

Dernière envolée·: «·Sachez que la désobéissance, la préférence donnée aux valeurs par rapport à la loi, c’est une partie de notre citoyenneté, de notre citoyenneté résistante. Résister, c’est refuser d’accepter le déshonneur, c’est continuer à s’indigner lorsque quelque chose est proposé qui n’est pas conforme à ces valeurs, qui n’est pas acceptable, qui est scandaleux.·» S’adressant aux jeunes, nombreux dans l’assistance, il les avertit qu’ils «·vont avoir en face d’eux un monde avec des défis qui ne peuvent être abordés utilement qu’en restant fermement attachés aux valeurs fondamentales sans lesquelles notre humanité risque de péricliter·».

Lire·:

«·Les Jours heureux. Le programme du Conseil national de la résistance de mars 1944·: comment il a été écrit et mis en œuvre et comment Sarkozy accélère sa démolition.·» (Editions La Découverte. Mars 2010)

 

 

Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui

Entretien avec Gilles Perret

Appeler les citoyens et les responsables politiques à bâtir un projet de société, une «·utopie réaliste·» de notre temps, en s’inspirant des leçons du passé et notamment de l’esprit qui présida à la rédaction des «·Jours heureux·», le programme du Conseil national de la résistance·: tel est l’objectif de Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui.

Membre et cofondateur, en décembre 2008, de cette association, le cinéaste Gilles Perret*évoque dans cet entretien la mission et les circonstances de la création de cette structure parrainée par Stéphane Hessel et Raymond Aubrac. Et insiste sur l’actualité criante du programme du CNR.

 

Quand et dans quel contexte a été créée l’association Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui ?

Au départ, nous avons réagis de façon spontanée à la venue du Président Nicolas Sarkozy sur le plateau des Glières, le 4 mai 2007, l’avant-veille du second tour de la Présidentielle. Nous étions 3 collègues et 3 anciens résistants à appeler à une manifestation, le 13 mai, une semaine après l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. Nous lui contestions le droit de récupérer un symbole historique au bénéfice de son ambition personnelle. Environ 1500 personnes ont répondu à notre appel.

«·Si je suis élu président, avait précisé Nicolas Sarkozy, je reviendrai chaque année sur le Plateau des Glières. »

En mars 2008, quelques jours après l’échec de l’UMP aux élections municipales, Nicolas Sarkozy s’est déplacé pour la seconde fois sur le plateau des Glières. Il s’est comporté, à cette occasion de manière légère, blaguant avec des invités, rigolant, et parlant de Carla Bruni.

Nous avons alors décidé d’organiser un nouveau rassemblement. Nous avons invité Stéphane Hessel, ancien représentant de la France aux Nations-Unies et ambassadeur de France et l’ancien résistant Raymond Aubrac. Quelques 600 personnes sont venues. Il s’agissait de rappeler au Président ce qu’était le programme du Conseil national de la Résistance et de dénoncer cette tentative de récupération des valeurs de la Résistance. Nous voulions montrer également le grand écart qu’il y avait entre sa politique et le programme du Conseil national de la résistance et les contradictions entre les postures du Président et son action réelle.

Nous nous sommes constitués en association en décembre 2008. Celle ci a pris le nom de «·Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui·».

Nous essayons désormais, lors de chaque rassemblement, de faire un lien entre les résistances passées et les résistances actuelles. Pour notre troisième rassemblement, le 17 mai 2009, une quinzaine de jours après un déplacement express du Président sur le Plateau des Glières, nous avons invité plusieurs résistants d’aujourd’hui à venir prendre la parole. Etait présent Alain Refalo, professeur des écoles, à Colomiers, près de Toulouse. Ce dernier a refusé, en novembre 2008, d’appliquer les directives ministérielles sur «·l’aide personnalisée·», prélude à la disparition programmée de l’aide aux élèves en difficultés. Il a décidé de mettre en place des dispositifs alternatifs à ceux qui lui étaient imposés. Nous avions invité également le docteur Michel Guyader, médecin psychiatre et psychanalyste à Etampes. Celui-ci a dénoncé, en décembre 2008, les mesures prises par le gouvernement qui vont dans le sens de l’aggravation des conditions de l’hospitalisation et de la privation de liberté. C’est après l’envoi d’une lettre ouverte au Président de la République par le docteur Guyader que s’est constitué un «·collectif des trente-neuf contre la nuit sécuritaire» qui lutte contre la déshumanisation de la psychiatrie. Quatre mille personnes sont venues, en 2009, à ce troisième rassemblement organisé sur le plateau des Glières. On vient écouter des orateurs, parler de république et de citoyenneté dans la dignité qu’impose ce lieu chargé d’histoire. Le rassemblement comme mon film, Walter, retour en résistance, sorti sur les écrans durant l’hiver 2009, sont peu appréciés des élites UMP qui dirigent le département. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. Tout est fait pour que ces manifestations se passent mal.

Quelle est la mission, la raison d’être de cette association·?

Nous nous sommes fixé comme ligne directrice de rappeler ce qu’était le programme du Conseil national de la Résistance et d’essayer de sensibiliser les politiques et les citoyens afin de créer une impulsion nouvelle dans la politique et de réfléchir à ce que pourrait être un programme du Conseil national de la résistance adapté aux réalités actuelles.

Notre objectif·? Replacer au sein du débat politique cette valeur essentielle qu’est le vivre ensemble. Nous sommes aujourd’hui une quinzaine de personnes, de générations différentes, pour animer cette association. Mais nous sommes entourés et soutenus par de très nombreuses personnes. Notre rassemblement 2010 s’est tenu les 15 et 16 mai. Parmi les invités figureraient notamment Stéphane Hessel, Odette Nils, qui était la petite amie de Guy Moquet à l’époque du camp de Chateaubriand. Nous voudrions réunir, lors de chaque rassemblement, une personne qui ait été à l’initiative d’un acte de désobéissance ou qui soutienne des visions différentes de la société. Cette année, nous avons également invité Dominique Liot, le «·Robin des bois·» d’EDF qui a été poursuivi en justice pour avoir rétabli, de son propre chef, le courant chez une famille privée d’électricité. Est venu aussi le docteur Didier Poupardin de Vitry. Ce dernier a continué à prescrire des médicaments entièrement remboursés à des familles dans le besoin. Il milite pour que la Sécurité sociale ne soit pas détruite par une politique de marchandisation. Le magistrat Serge Portelli, a, de son côté, pris parti contre la reprise en main de la magistrature par l’Etat et contre la suppression du juge d’instruction.

Le samedi 15 mai après-midi nous avons organisé un débat avec les contributeurs du livre, «·Les Jours heureux·», publié aux éditions La Découverte.

Nous organisons aussi des conférences sur la récupération et l’instrumentalisation de l’histoire. La première s’est tenue à Annecy avec la participation de Sophie Wahnich, auteur du livre «·Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France·» et de Suzette Bloch, la petite fille de Marc Bloch. Celle ci a pris la parole pour dénoncer la tentative de récupération par Sarkozy de l’histoire de son grand-père, le célèbre historien, auteur de «·l’Etrange défaite·».

La philosophie de votre action prend appui sur l’Appel du Conseil national de la résistance lancé en mars 2004·?

Oui, nous nous situons dans le droit fil de cet appel qui exhortait les «·mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux et non plus seulement à leurs conséquences et à définir ensemble un nouveau «programme de la Résistance·» pour notre siècle. Il est déplorable que les Français ne connaissent presque rien du programme qui était celui du Conseil national de la Résistance.

On nous a enseigné l’histoire de la Résistance comme étant un ensemble de faits d’armes émanant de personnes courageuses sans nous dire pourquoi celles ci avaient pris les armes et quel type de société elles voulaient défendre.

Peut on encore en appeler, aujourd’hui en 2010, aux idéaux de la Résistance·? Restent-ils d’actualité plus de soixante ans après leur énonciation·?

Oui. Mise à part la dialectique ou le vocabulaire, les valeurs portées par ce texte ne sont évidemment pas attachées à quatre ans de l’histoire de France. Ce sont les valeurs de la République. Vouloir établir plus d’égalité, plus de solidarité, plaider pour le droit au travail ou à la santé pour tous, dénoncer les manœuvres du pouvoir quand il se met au service d’intérêts privés au détriment du bien de tous ou les menaces contre les libertés publiques ne sont pas des combats attachés à une période précise de l’histoire. Le programme du CNR reste d’une actualité criante. J’en ai discuté avec Robert Chambeyron, l’un des derniers témoins vivants du CNR. Il m’a expliqué qu’ils voulaient, en 1944, avec ce programme mettre en place des bases saines pour éviter que de tels événements ne se reproduisent et bâtir un projet de société. Ils voulaient en finir avec les compromissions avec les pouvoirs d’argent. Séparer la presse et la finance des pouvoirs d’argent, séparer les féodalités économiques du pouvoir politique. Ils considéraient aussi que l’énergie qui constitue un bien commun ne devait pas être laissée entre les mains des intérêts privés. Oui le programme du CNR reste d’une criante actualité.

Quelles sont les valeurs qui étaient celles du CNR qui vous semblent les plus urgentes de revivifier aujourd’hui ?

Toute ce texte tourne autour d’une valeur majeure·: celle du vivre ensemble. Nicolas Sarkozy dresse le portrait d’une société française peuplée de vilains profiteurs et de dangereux étrangers. Le propos du CNR était à tout à fait différent. Il insistait sur la nécessité d’agir ensemble et de s’en sortir tous ensemble. Que nous propose -t- on aujourd’hui comme projet d’avenir, comme vision de la société·? Rien n’est fait pour entraver la marche folle du monde qui fait que les richesses sont de plus en plus concentrées entre les mains des plus riches.

Cette déconstruction s’est opérée sans réelle lever de bouclier de la population. Croyez-vous qu’une insurrection des consciences, des esprits est aujourd’hui possible·?

Cette déconstruction est possible à partir du moment où l’on se trouve en présence d’une population qui est peu cultivée politiquement. Quand on parvient à sensibiliser des gens, ils prennent conscience des retours en arrière que nous n’avons pas su ou pu dénoncer collectivement. On sent un besoin de réagir. Des insurrections, il y en aura, mais seront-elles structurées·? Seront-elles de conscience·? Il suffit parfois de quelques hommes pour qu’une situation bascule dans le sens du bien commun.

 

* Réalisateur, Gilles Perret évoque dans ses films (Ma mondialisation, 8 clos à Evian, Walter, retour en résistance, Ca chauffe sur les Alpes), la mondialisation libérale et ses conséquences à travers le prisme de son département, la Haute Savoie.

Pour aller plus loin :

Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui.

1442, route de La Luaz

74570 Thorens-Glières

www.citoyens-resistants.fr

 

 

 

Entretien avec Raymond Aubrac

«·Tous les résistants étaient des optimistes·»

Les valeurs de la Résistance ne sont autres que celles de la République. Les résistants n’ont pas inventé des valeurs, ils les ont ravivées. Prenons les une par une·: liberté, égalité et fraternité. Nous disposons aujourd’hui d’une bonne dose de liberté, essayons de l’utiliser. L’égalité est bien mise à mal par l’évolution de notre société. La fraternité existe toujours. Nous en trouvons constamment des traces dans l’essor des activités associatives et dans la générosité avec laquelle les différentes campagnes pour soutenir les plus malheureux sont accueillies dans le pays. La valeur de la République qui aurait le plus besoin d’être ravivée est l’égalité.

Le courage fait aussi partie des valeurs de la République. Tous les résistants étaient sûrs que ce qu’ils allaient réaliser, que les risques qu’ils allaient prendre serviraient à quelque chose. Tous les résistants étaient des optimistes, y compris ceux qui partaient en Angleterre rejoindre le Général de Gaulle. On trouve des témoignages de cet optimisme dans l’Appel du 18 juin. Le général de Gaulle y explique que la France, alors en plein chaos, a perdu une bataille mais n’a pas perdu la guerre. On en trouve des affirmations encore plus éclatantes dans le programme du Conseil national de la Résistance qui est un condensé d’optimisme.

Il n’est pas question de rédiger un nouveau programme de résistance. Il s’agit d’abord de comprendre ce qui se passe en ce début de XXIe siècle. Il y a plus de soixante ans, l’ennemi était facile à identifier. C’est maintenant beaucoup plus difficile. Il s’agit d’abord de tenter de comprendre les dysfonctionnements dont nous souffrons. Nous souffrons probablement plus d’un système que de l’action d’individus. C’est cela l’ennemi en vérité. Mais combattre un système qui n’est, lui, pas en uniforme, n’est pas aisé. On ne peut que dénoncer ses faiblesses, ses extravagances, ses conséquences dangereuses.

Il sera difficile de mobiliser l’opinion contre un système ou contre un certain nombre de principes. Mieux vaut mobiliser l’opinion contre des partis ou des individus. C’est un travail absolument indispensable. Celui-ci exige d’abord une compréhension fine du monde dans lequel on vit. Ce monde, devenu complexe, est mal compris, mal expliqué. Nous ne savons pas vers quoi nous allons dans un monde de plus en plus complexe. On ne sait plus très bien où sont les vrais sources du pouvoir. La résistance devrait commencer par une meilleure explication du monde."

 

 

Appel à la commémoration du 60e anniversaire du Programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944 :

Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.

Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n'a pas totalement disparu et notre colère contre l'injustice est toujours intacte.

Nous appelons, en conscience, à célébrer l'actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succèderont d'accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s'éteigne jamais :

• Nous appelons d'abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l'anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 :

Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des «féodalités économiques», droit à la culture et à l'éducation pour tous, presse délivrée de l'argent et de la corruption, lois sociales ouvrières et agricoles, etc.

Comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l'Europe était ruinée ?

Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

• Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, définir ensemble un nouveau «Programme de Résistance » pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l'intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.

• Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grandsparents, les éducateurs, les autorités publiques à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n'acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : « Créer, c'est résister. Résister, c'est créer.»

 

Signataires :

Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.