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Il faut renouer les liens avec le vivant

 

Photo C_Aubel

« La biodiversité nous concerne au premier chef, car la biodiversité c'est nous, nous et tout ce qui vit sur terre", souligne Hubert Reeves, le Président de Humanité et Biodiversité. L’astrophysicien préside depuis 2000 cette association nationale, reconnue d’utilité publique et agréée au titre de la protection de la nature par le Ministère de l’Environnement.

Son directeur, Christophe Aubel, ancien ornithologue et bénévole associatif auprès du Centre ornithologique d’Ile-de-France notamment a été nommé directeur de la Ligue Roc en 2001.

L’association d’opposants à la chasse créée en 1976 par Théodore Monod est devenue en 2012 l’association Humanité et biodiversité. Dirigée par un Conseil d’administration, elle est constituée de bénévoles, animée par une petite équipe de salariés, et dotée d’un comité d’orientation regroupant des experts -écologues, économistes, sociologues, philosophes, juristes- aux compétences variées.

A la veille de l’examen du projet de loi sur la biodiversité au printemps par le Parlement, Christophe Aubel évoque la dégradation des écosystèmes, les combats de son association dont celui du Grenelle de l’environnement et les enjeux de la protection de la biodiversité.

 

Quels sont, à grands traits, les écosystèmes qui se sont le plus dégradés, les espèces qui ont été le plus affectées par notre mode de développement depuis la création de la Ligue Roc en 1976 ?

La récente évaluation pour le « rapportage » de la France à la Directive Habitats Faune Flore de l’Union européenne révèle que les formations herbeuses, habitats d’eaux douces et tourbières, c’est à dire les habitats humides et liés aux milieux agro-pastoraux sont ceux qui ont le plus mauvais état de conservation. Au niveau des espèces, cette même évaluation révèle que les amphibiens et reptiles ainsi que les espèces aquatiques et les mollusques sont les taxons en plus mauvais état de conservation. Pour les espèces marines, le manque de connaissance est mis en avant.

En 30 ans, il faut savoir que la moitié des zones humides a disparu en France à cause de l’artificialisation urbaine et agricole (drainage pour la mise en culture) tandis que l’indicateur de suivi temporel des oiseaux communs révèle que les espèces de milieux agricoles ont régressé de moitié ces 30 dernières années. Au niveau mondial, c’est 20% des coraux et 25% des mangroves qui ont disparu.

 

Quelles sont, à vos yeux, les causes principales de l’effondrement de la biodiversité?

Au niveau mondial, le Millenium ecosystem assesment regroupant de nombreux scientifiques a identifié  cinq pressions principales pesant sur la biodiversité :

  • la destruction et la fragmentation des habitats naturels

  • la surexploitation des ressources biologiques

  • les pollutions

  • l’introduction d’espèces exotiques envahissantes

  • le changement climatique

    Ces mêmes scientifiques estiment que 60% des services écosystémiques mondiaux sont dégradés.

    Pour donner quelques exemples en France, l’équivalent d’un département comme l’Hérault est urbanisé tous les 7 ans tandis qu’en Méditerranée, tous les stocks de poissons à proximité des côtes sont surexploités (thon rouge, espadon, anguille, saumon, merlan, rouget…)

     

     

    Cet effondrement tiendrait en partie au fait que l’espèce humaine «s’isole du vivant matériellement et spirituellement » ?

    Nos sociétés pensaient à tort pouvoir s’extraire de la nature. C’est en cela que l’on dit que nous nous sommes isolés du vivant matériellement et spirituellement. Matériellement, car nos sociétés occidentales ont beaucoup misé sur le progrès technique pour tenter de bâtir un monde meilleur en s’extrayant de la nature et en oubliant qu’il n’y a pas d’un côté la nature et de l’autre les humains, mais la biodiversité dont nous faisons tous partie et dont nous sommes, nous les êtres humains, partie intégrante. La biodiversité étant par ailleurs faites d’interdépendance dont nos sociétés dépendent.

    Spirituellement, car nous avons oublié que nous sommes là parce qu’il y a une longue évolution du vivant depuis le début de la vie, une trajectoire commune. Il nous faut nous réapproprier ce long cheminement, ce lien spirituel ou éthique avec le vivant. C’est le discours de notre président Hubert Reeves. Nous connaissons tous sa phrase affirmant que les hommes sont des « poussières d’étoiles ». Il faut nous réapproprier cette « communauté de destins » que nous partageons avec le reste de la biodiversité. Il ya des différences évidentes entre l’être humain et les autres espèces, mais, une chose est sûre, nous venons tous du même endroit. Cette coupure entre la nature et les humains explique en grande partie l’impasse dans laquelle nos sociétés sont engagées.

     

    Vous soulignez dans votre charte qu’il est fondamental de « restaurer une relation affective et philosophique entre l’espèce humaine et les autres espèces ». Qu’entendez-vous par là ?

    On peut aborder de plusieurs manières la question de la biodiversité. Par l’émerveillement et l’éthique. Par le volet utilitaire également avec la notion de services éco-systémique. Ce sont ces services rendus par la nature qui nous ont permis de construire et de développer nos sociétés. Cette approche utilitaire est indispensable, mais n’est pas suffisante. Les questions d’ordre éthique et de respect du vivant sont majeurs. Il faut renouer les liens avec le vivant. Cela passe aussi par l’affectif et par l’émerveillement. Il est essentiel que nous nous rappelions d’où nous venons. Nous allons tous dans la même direction. Quand la biodiversité se porte mal, les êtres humains en pâtissent également.

     

    S’approche t-on d’un seuil irréversible en matière de perte de biodiversité ?

    Les scientifiques ont tendance à répondre par l’affirmative. En 2011, une étude publiée par la revue Sciences avertissait que l’on était proche de ce seuil de basculement et que nous devions agir vite. En Namibie par exemple, la surpêche a conduit à la multiplication des méduses. Aujourd’hui, celles ci dominent de façon incroyable dans un écosystème complètement perturbé et transformé. On espère qu’avec la création de l’IPBES (acronyme anglophone de Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) nous disposerons prochainement de scénarios et de trajectoires, à l’instar de ce que le GIEC a pu faire en matière climatique.

    Le seuil que nous avons atteint est-il irréversible ? Sans doute pas.

    Nous avons déjà connu cinq crises d’extinction. A chaque fois, le vivant est reparti. Si un basculement des écosystèmes s’opère, il y aura un nouvel équilibre de la biosphère. La question sera, alors, de savoir quelle sera la place de l’homme dans ce nouvel équilibre et quelles implications cela aura sur nos modes de vie ?

     

    La prise de conscience de cet effondrement de la biodiversité a telle beaucoup progressée depuis une dizaine d’années ?

    Oui, elle a progressé mais pas autant qu’il le faudrait. J’observe depuis une dizaine d’années une différence d’approche et d’écoute des décideurs politiques ou économiques. Il y a dix ans, j’étais considéré comme celui qui « s’occupait des fleurs et des petits oiseaux ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On voit bien que le mot biodiversité s’est imposé dans le débat public. On en parle de plus en plus. L’opinion publique est plus avertie, la connaissance et la compréhension du mot biodiversité a progressé. L’année 2010, année internationale de la diversité biologique, a joué un rôle majeur en termes de sensibilisation de l’opinion. C’est un sujet dont on parle de plus en plus dans la presse. Pour autant, on est encore loin du compte. Il faudrait aller plus loin.

     

    Quelle est la contribution de votre association à la préservation de la biodiversité ? Votre action passe notamment par l’élaboration d’idées. Quelles sont, à vos yeux, les idées les plus fortes que vous avez promues et amenées sur la place publique ces dernières années ?

    Oui, nous avons besoin de parcs nationaux, oui il faut s’occuper des espèces en danger. Mais c’est insuffisant. L’enjeu est celui de la sauvegarde de la biodiversité sur tout le territoire. Cela signifie que cette question n’est pas du seul ressort du ministère de l’écologie. Il faut que l’on apprenne à faire avec la biodiversité, et non contre elle, dans tous les secteurs d’interventions publiques et privées. Cela passe par’un outil : la stratégie nationale de la biodiversité. Cette stratégie doit permettre l’engagement de tous les ministères.. Nous avons beaucoup œuvré en faveur de celle-ci, et avons obtenu que sa mise en œuvre se fasse de manière concertée.

    Par ailleurs, la biodiversité n’est pas uniquement une affaire de spécialistes. Tous les acteurs doivent se mobiliser. Nous avons obtenu que la stratégie nationale évoquée à l’instant, en plus d’engager l’Etat soit dotée d’un dispositif d’engagement pour les collectivités, les entreprises, les associations, tous les acteurs de la société peuvent de fait s’engager.

    Nous avons porté l’idée que l’on ne peut plus raisonner au XXIe siècle en matière d’urbanisme comme on le faisait au XXe siècle. Nos PLU, communaux ou intercommunaux, devraient devenir des PLAGE, c’est à dire des Plans Locaux d’Aménagement et de Gestion de l’Espace. Dans un projet de territoire, on doit préciser où l’on construit et où l’on ne construit pas mais aussi comment on construit, ce qu’e l’on fait sur le non construit, notamment pour respecter le fonctionnement des écosystèmes et les continuités écologiques. Nous avons obtenu le lancement d’une Agence française de la biodiversité. Cette agence verra le jour après l’adoption du projet de loi biodiversité. Le texte est passé au mois de mars en conseil des ministres. Le processus est lancé. Le président de la république a affirmé à plusieurs reprises que l’on créerait en 2015 cette Agence de la biodiversité. Celle-ci sera l’équivalent de l’ADEME. Un outil qui permettra de sensibiliser et de conseiller les entreprises et les collectivités territoriales et d’établir un certain nombre de référentiels.

     

    Humanité et biodiversité a participé activement au Grenelle de l’environnement. Quelles idées avez-vous tenté de promouvoir à cette occasion ?

    Nous avons travaillé aux côtés d’autres associations avec notre fédération FNE, la FNH et la LPO. Nous avons œuvré pour que soit adoptée la trame verte et bleue qui vise à garantir les continuités écologiques, à protéger la faune et la flore qui se déplacent, à créer des continuités qui permettent le fonctionnement des écosystèmes.

    Nous avons obtenu la création de la Fondation pour la recherche en biodiversité. Celle ci regroupe, aujourd’hui, des instituts de recherche mais aussi des ONG et des entreprises de façon à coordonner la recherche en matière de biodiversité.

     

    Quel bilan dresseriez-vous du Grenelle de l’environnement ?

    Il y a un avant et un après Grenelle. Il a créé des dynamiques. Le Grenelle a été lancé parce que les ONG ont imposé le sujet pendant la campagne électorale 2007, dans le sillage du Pacte écologique de Nicolas Hulot. Ce n’est pas l’ancien président de la République qui a créé le Grenelle. Il a répondu positivement à une proposition des ONG.

    La force du Grenelle tenait au départ au fait qu’il y avait un portage politique au plus haut niveau, celui du président de la République. Et au fait que le gouvernement avait fait de la réussite du Grenelle un marqueur de la réussite de sa politique. Sa grande réussite est d’être parvenu à réunir autour d’une table tous les acteurs de l’environnement.

    L’édifice s’est affaissé parce que le président de la République et le gouvernement ont décrété, à un certain moment, que le Grenelle ne leur apporterait rien politiquement. Parce qu’ils ont laissé tomber ce portage politique. Il n’en reste pas moins, à mon sens, que l’on n’en est pas revenu à l’avant Grenelle. L’opinion publique a été sensibilisée à la question environnementale, nombre d’acteurs se sont mobilisés.

    Depuis 2011 et toujours aujourd’hui malheureusement, on ne sent plus cette même volonté de faire progresser les dossiers. La plupart des arbitrages sont négatifs. La crise est passée par là. Les préoccupations économiques éclipsent les autres enjeux.

     

    Qu’en est il des lobbys chargés de défendre les intérêts des milieux d’affaires. Ceux-ci exercent ils un travail de sape efficace ?

    Il est clair que des lobbies favorisent le business as usual. Dans le domaine qui est le notre, ces freins ont été moins présents que dans d’autres secteurs comme ceux de la RSE et de l’énergie. Il n’empêche que les lobbies demeurent influents, dans le domaine agricole notamment comme en a témoigné le retour en arrière de la réglementation en matière d’ouverture d’élevages porcins. Elevages qui ont un réel impact sur la biodiversité.

    Il y a deux manières de répondre à ces lobbies. Par la mobilisation citoyenne qui peut faire contrepoids. Et par la mise en place du dialogue environnemental. Auparavant, tout se négociait en tête à tête avec le gouvernement. Maintenant, grâce au dialogue environnemental, nous sommes obligés de nous parler, d’exposer ce que nous faisons. Ces dispositifs obligent aussi les politiques et le gouvernement à s’engager et à prendre des décisions devant tout le monde. Il faut cesser les stigmatisations. Il n’y a pas les méchants d’un côté, et les gentils de l’autre. Il faut convaincre tout un chacun de s’engager. Mais aussi savoir prendre en compte les intérêts économiques et sociaux. Et montrer que l’on peut avancer malgré ces pesanteurs.

     

    Propos recueillis par Eric Tariant

     

    Pour aller plus loin

    Consulter le site de l’association : www.humanite-biodiversite.fr

     

    Lire :

     

    « Là où croît le péril…croît aussi ce qui sauve » d’Hubert Reeves (Seuil, septembre 2013)

     

    « Notre santé et la biodiversité. Tous ensemble pour préserver le vivant ». Ouvrage collectif coordonné par Serge Morand et Gilles Pipien sur une initiative de l’Association Santé Environnement France et de Humanité et Biodiversité. (Buchet Chastel, avril 2013).

     

    « La biodiversité : une chance. Nous avons un plan B ! » de Sandrine Bélier et Gilles Luneau (Actes sud, Domaine du Possible, octobre 2013)

     

     

     

     

     

     

     

     


Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe