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L’exemple de la ferme du Bec Hellouin

 

L’ère du pétrole bon marché, clé de voûte de nos économies développées, est derrière nous. Le bon vieux modèle agricole des années 1960 fondé sur une agriculture industrialisée et une hyper spécialisation des régions est en voie d’épuisement. Bonne nouvelle : pour amorcer la nécessaire transition énergétique, une multitude d’initiatives esquissent des voies prometteuses dans le domaine agricole notamment. Gros plan sur la Ferme du Bec Hellouin, en Haute-Normandie, qui fait la démonstration que des micro fermes en permaculture, sans intrant ni pétrole, pourraient garantir une production locale et durable de produits bio de qualité.

 

« Nous redeviendrons paysans », martelait en 1987 Philippe Desbrosses, agriculteur et docteur en sciences de l’environnement, dans la première édition d’un livre plusieurs fois réédité.

Le retour à la terre est la voie qu’ont suivie Perrine et Charles Hervé-Gruyer après avoir baroudé à travers le monde. Ancienne sportive de haut niveau, Perrine était juriste internationale en poste en Asie avant de poser ses valises dans ce trou de verdure, posé au fond d’une vallée de l’Eure, à deux pas d’un des plus beaux villages de France. Epris de liberté et d’authenticité, Charles a sillonné les mers du globe, pendant 22 ans, menant un travail d’éducation à l’environnement. De ses pérégrinations au contact de quelques représentants des Peuples dits Premiers (des Indiens d’Amazonie notamment), gardiens de la terre qui vivent en osmose avec les éléments, il a ramené un projet de reconnexion avec la nature.

Au Bec Hellouin, tout a commencé, en 2003, par la création d’un potager bio, conçu au départ pour nourrir la famille avec des aliments sains. En 2006, ils passent à la vitesse supérieure en prenant le statut d’agriculteur bio, le nez au vent avec une certaine naïveté, sans bagage agricole ni formation. « Nous avions un tel niveau d’inexpérience qu’il n’y a pas une erreur que nous n’ayons faite, » s’amuse Charles en évoquant leurs premières années de fermiers en herbe : un véritable parcours du combattant. Au Bec, le sol est médiocre, une couche de terre arable d’à peine une vingtaine de centimètres recouvre un lit de silex et de graviers. Esthètes et poètes, ils dessinent leur ferme en s’inspirant de tableaux de la France rurale du XIXe siècle plutôt que de manuels d’agronomie. Ils plantent des arbres, creusent des mares, sculptent la terre, s’entourent d’animaux : des poules, des moutons de l’île d’Ouessant, des ânes, poneys et autres chevaux de trait. Le résultat est séduisant. Après avoir franchi un portail en bois, on débouche dans une cour proprette, bordée d’un pavillon d’accueil coiffé d’un toit de chaume, d’un poulailler, d’une forge impeccables et de deux belles bâtisses à colombage. Au milieu, trônent une vieille charrue et un ancien pressoir. La cour surplombe le jardin au milieu duquel coule une petite rivière. A l’ouest est implantée la forêt jardin qui vise à recréer un paysage comestible. Arbousiers, argousiers, kiwis, et autres mûres japonaises : une multitude de fruits et des baies d’ici et d’ailleurs y poussent. La forêt abrite des vents dominants deux îles-jardin. L’une d’elles est occupée par un jardin circulaire de 800m2, « le jardin mandala » formé de buttes permanentes rondes. Plus loin, des jardins associent arbres fruitiers et espaces de cultures potagères. Le tout sur 1,8 hectare de terres implantées à quelques centaines de mètres de l’abbaye bénédictine dont on entend sonner les cloches. Ici, rien ne se perd tout est recyclé à l’intérieur d’un agro-système, vivant et diversifié, où les milieux interagissent.

 

S’inspirer des écosystèmes naturels

Fin 2008, le couple découvre la permaculture. C’est une révélation. Perrine et Charles s’efforcent aussitôt d’adapter à leur ferme ces principes créés, dans les années 1970 en Australie, par Bill Mollison et David Holmgren. L’idée force de la permaculture ? Inspirons-nous des écosystèmes naturels pour concevoir des installations humaines, harmonieuses et durables, économes en énergie et en travail. A la Ferme du bec Hellouin, les rendements ne tardent pas à augmenter dépassant ceux des fermiers bio travaillant sur de plus grandes surfaces en agriculture mécanisée. Peu à peu, le couple élabore sa propre méthode de maraîchage associant les principes de la permaculture, les technologies modernes de l’agriculture biologique et les savoirs-faire des anciens. Les « trucs » et astuces des maraîchers parisiens du XIXe siècle notamment dont ils ont retenu les conseils : « Choisissez toujours la plus petite parcelle de terre possible, mais cultivez la exceptionnellement bien ». Comme leurs lointains prédécesseurs, les Hervé-Gruyer travaillent presque qu’exclusivement à la main de petites surfaces intensément soignées. Leur éthique? Prendre soin de la terre en travaillant dans le sens de la vie et non contre elle. « Notre rôle consiste à être les serviteurs des forces de vie, du potentiel des légumes contenu dans la graine, en créant un contexte favorable pour qu’elles explosent, » insiste Charles.

Pour enrichir les sols, ils misent sur un apport massif de fumier décomposé et de compost. Ils testent des solutions innovantes comme le biochar, un charbon de bois microporeux incorporé au sol, associé à des micro-organismes efficaces. Ils cultivent sur des buttes tantôt arrondies, paillées ou bâchées, tantôt plates pour effectuer les semis. Ici, pas de labour, ni de travail du sol qui risquerait de détruire la matière organique.

Ils créent des systèmes étagés de cultures en associant des arbres fruitiers, des fruits rouges et des légumes. Et s’intéressent particulièrement aux associations de cultures : des pieds de tomates tutoient des salades et des navets ; des aubergines et des poivrons voisinent avec des concombres et du basilic. Au total, plus de 800 variétés sont cultivées au Bec Hellouin : des légumes, des fruits, et des plantes aromatiques et médicinales. La diversification des cultures apporte une plus grande sécurité économique, tout comme la commercialisation de la production, en vente directe, auprès de plusieurs AMAP et de restaurants gastronomiques qui leurs assurent un revenu régulier et stable.

 

L’INRA entre dans la danse

Le soleil est la source presque exclusive d’énergie de la ferme qui n’a plus, depuis peu, recours ni aux énergies fossiles, ni à aucun intrant biologique extérieur.

Cette méthode, lentement mûrie, concoctée par le couple, favorise une production intensive sur une petite surface de façon naturelle. Depuis 2010, une ribambelle d’agronomes, français et étrangers, sont venus en pèlerinage au Bec Hellouin. Parmi eux des chercheurs de l’INRA et d’AgroParisTech qui ont souhaité valider scientifiquement l’expérience et tenter de la modéliser. Il en a résulté un projet de recherche baptisé « Maraîchage biologique en permaculture et performance économique ». Démarrée à la fin de l’année 2011, l’étude doit durer trois ans. Les hypothèses de base à valider ? Est-il possible de créer une activité à temps plein en cultivant 1000m2 en maraîchage bio permaculturel ? Peut-on faire la preuve, à l’encontre de la pensée dominante, que cultiver à la main, sans intrant ni énergie fossile, une petite surface permet de mieux tirer son épingle du jeu qu’à la tête d’une grosse exploitation mécanisée ?   

Les premiers résultats de l’étude sont encourageants. Au cours de l’année 2012-2013 marquée par des conditions climatiques défavorables, les 1000m2 cultivés ont permis de dégager un revenu de 32 000 euros pour une charge de travail de 1400 heures pour une personne. La généralisation d’un tel modèle devrait permettre de « contribuer à la recomposition d’ensemble des systèmes alimentaires en rapprochant les producteurs et les consommateurs, tout en participant à la création d’emplois », se plait à espérer François Léger, directeur de l’unité SADAPT INRA et d’AgroParisTech, qui coordonne la recherche.

Ce type de micro ferme qui crée de l’humus au lieu de le détruire, stocke du carbone, enrichit la biodiversité tout en embellissant les paysages peut favoriser l’essor de l’agriculture urbaine et péri-urbaine, insiste Charles Hervé-Gruyer, car elle demande moins de foncier et moins d’investissements. Une bonne nouvelle en ce début de XXIe siècle marqué par la fin du pétrole bon marché, où il va nous falloir reconstruire une agriculture de proximité, sobre et naturelle, pour tenter de reconquérir notre souveraineté alimentaire.

 

Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

Ferme du Bec Hellouin

1, sente du Moulin au Cat

27800 le Bec Hellouin

Tél/Fax : 02 32 44 50 57

Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.">Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

www.fermedubec.com

 

Lire :

« Jardiner autrement. La permaculture, conseils et principes de base » de Margrit Rusch (Editions Ouest-France)

« La permaculture de Sepp Holzer. « L’agriculteur rebelle » d’Autriche. Guide pratique pour jardins et productions agricoles diversifiées » (Editions Imagine Un Colibri, 2012)

« Créer un jardin-forêt. Une forêt comestible de fruits, légumes, aromatiques et champignons au jardin », de Patrick Whitefield (Editions Imagine Un Colibri, 2011).

"Le jardinier maraîcher. Manuel d'agriculture biologique sur petite surface" de Jean-Martin Fortier aux éditions Ecosociété (2013)

« La permaculture. Une brève introduction » par Graham Burnett (éditions Ecosociété. Collection Résilience)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe