La violence est elle une fatalité·? On est en droit de s’interroger en établissant le bilan tragique du XXe siècle. Pour tenter de reconstruire sur les décombres des idéologies qui ont semé le malheur, le défi majeur du XXIe siècle ne sera-t-il pas de passer d’une culture de guerre et de violence à une culture de paix et de non-violence·? Faut-il inventer de nouvelles méthodes d’action·?

Les guerres et les génocides qu’a connus le XXe siècle témoignent de l’échec de la culture à «·humaniser l’humanité·». Quelles ruptures s’imposent pour ne pas retomber, au XXIe siècle, dans les mêmes ornières·?

Jean-Marie Muller. Au Moyen-Orient comme en Irak ou en Afghanistan, la violence n’est pas la solution mais le problème. Comment résoudre le problème de la violence·? L’erreur serait de penser que la violence est humaine. Elle est fondamentalement inhumaine. Elle ne permet pas d’apporter une réponse humaine aux inévitables conflits qui naissent entre les hommes. Il faut trouver des alternatives à la violence comme méthode d’action. Rompre avec cette idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable qui mine nos sociétés. Et prendre conscience en premier lieu que la langue que nous parlons reflète l’idéologie de violence qui imprègne nos sociétés.

Jean-Baptiste Libouban. Cette culture de guerre et de violence s’enracine chez nous dans les sciences et le droit. Pour s’en défaire, il faut en premier lieu bien distinguer les moyens et les fins. Renoncer aux moyens qui vont à l’encontre de la fin que l’on poursuit et distinguer les intérêts privés du bien commun. Les ruptures les plus déterminantes qui s’opèrent aujourd’hui sont, à mes yeux, celles que mènent les acteurs de la désobéissance civique·: les faucheurs volontaires d’OGM en plein champ, les Amoureux au ban public qui défendent les couples mixtes, le Réseau Education sans frontières, tous ceux qui s’opposent quand ils constatent que la loi va à l’encontre du bien commun. Quand des avancées scientifiques au service d’intérêts privés portent atteinte à l’environnement et à la biodiversité·; quand des lois, par l’intermédiaire des brevets, permettent l’accaparement du vivant.

A quel moment la désobéissance civile peut-elle devenir légitime·?

J-M.M. Quand la loi cautionne l’injustice, le citoyen responsable doit désobéir. La civilité du citoyen n’est pas l’obéissance aveugle, ni la discipline, mais la responsabilité. Si les fonctionnaires de Vichy avaient désobéi aux lois immorales, l’Occupation n’aurait pas pris la même tournure. Maurice Papon a été condamné parce qu’il avait obéi aux lois de Vichy concernant les Juifs. On lui a donc implicitement reproché de ne pas avoir désobéi. Il faut tirer les leçons de la jurisprudence du procès Papon. Et en déduire que non seulement le fonctionnaire doit juger de la légalité ou de l’illégalité de la loi mais aussi de la légitimité et de l’illégitimité de celle ci. Il devrait être dans la déontologie du fonctionnaire de refuser d’obéir à une loi qui viole les droits de l’homme.

J-B.L. Le principe de précaution, désormais inscrit dans la constitution, a une force équivalente à celle du droit de propriété, et des grands principes d’égalité, de liberté et de fraternité qui figurent dans la Déclaration des droits de l’homme. Quand le droit et le bien commun ne sont plus respectés par la loi qui se place au service d’intérêts privés, quand le gouvernement laisse faire au nom d’intérêts économiques, que reste -t-il au citoyen responsable, face aux dégâts infligés à l’environnement, sinon résister·? La constitution légitime cette attitude.

Les méthodes de l’action non violente ont-elles une efficacité politique·?

J-M.M. L’analyse de Gandhi était la suivante·: si quelques milliers de Britanniques peuvent imposer leur domination à quelques millions d’Indiens ce n’est pas grâce à la capacité de violence des Britanniques mais plutôt à la résignation, à la complicité, à la coopération des Indiens. Son analyse montre que les opprimés deviennent co-responsables de l’oppression qu’ils subissent dans la mesure où ils s’en accommodent et obéissent à ses lois. Partant de ce constat, il a proposé une stratégie aux Indiens·: ne pas obéir aux lois, ne pas participer aux institutions et ne pas pactiser avec l’idéologie colonialiste.

Y a t-il d’autres exemple récents dans l’Histoire qui ont permis à la non-violence de triompher·?

J-M.M. Adam Michnik, un des leaders de Solidarnosk, m’expliqua en 1987 qu’ils avaient opté pour la non-violence car ils étaient persuadés qu’ils ne pourraient, par la violence, que provoquer un surcroît de répression de l’Etat policier qui briserait immédiatement la résistance. Michnik a choisi aussi la non-violence pour construire une société démocratique. Par la suite, le mur de Berlin n’est pas tombé de lui-même en 1989, il n’a pas été détruit par les armes de destruction massive de l’Occident, il a été détruit par la force de résistance non-violente des femmes et des hommes des sociétés civiles de l’Est.

J-B.L. Dans certains cas, ne l’oublions pas, nous n’avons malheureusement pas d’autres choix que la violence. A Sebreniza où 8·000 hommes ont été massacrés, une action violente des forces internationales aurait été préférable au laisser faire de la Kafor. Et la phrase de La Boétie· -«·les puissants n’ont de pouvoirs que ceux que leurs sujets veulent bien leur accorder »- rend compte avec beaucoup de justesse des formidables contre-pouvoirs dont disposent les citoyens quand ils osent manifester leur refus à l’inacceptable. Dans les luttes, si nous ne voulons pas embraser la planète, nous n’aurons pas d’autre choix que la non-violence.

Devant nous, il y a la crise qui est la conséquence de mensonges économiques et politiques aux racines lointaines. Saurons-nous en faire bon usage et préférer le respect des personnes et de l’environnement afin de créer un nouvel art de vivre ensemble·? Le respect du vivant nous amènera à réintégrer la sensibilité comme un élément fondamental et non secondaire de l’esprit. Intelligence sensible, sensibilité intelligente sont les portes de notre avenir.

 

Pour aller plus loin :

Jean-Marie Muller est écrivain et philosophe, fondateur du Mouvement pour une Alternative Non Violente (MAN) et auteur du Dictionnaire de la non-violence· (Edition du Relié. Poche. 2005)·;

 www.non-violence.fr

Jean-Baptiste Libouban, compagnon de l’Arche de Lanza del Vasto et coordinateur des communautés pendant de nombreuses années, a fondé le collectif des Faucheurs volontaires d’OGM avant de s’engager au sein du Mouvement, récent, des Semeurs volontaires.

Pour aller plus loin·: www.mondesolidaire.org

 

Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe

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