Malgré l’importance des moyens financiers et humains mobilisés contre la maladie, on compte chaque année, en France 280·000 nouvelles personnes atteintes de cancer, et 150·000 décès. Ne faut-il pas, dans ce contexte, repenser les stratégies de lutte et réorienter les recherches vers la prévention pour éviter l’aggravation du désastre·? Dominique Belpomme, professeur de cancérologie à l’Université Paris-V, médecin à l’hôpital européen Georges Pompidou et président de l’association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (ARTAC) et Geneviève Barbier, médecin généraliste, nous livrent leurs réflexions.

 

Comment expliquez-vous l’augmentation de l’incidence des cancers en France depuis 20 ans malgré l’importance des moyens humains et financiers mobilisés?

Pr. Dominique Belpomme. Les moyens financiers et intellectuels mobilisés concernent essentiellement le traitement des cancers. Et non la prévention. Or, nous avons changé de paradigme médico-scientifique. On pensait autrefois que les causes des maladies étaient essentiellement liées aux modes de vie (tabagisme, alcoolisme et déséquilibre de l’alimentation). On sait maintenant que si ces facteurs interviennent à un titre ou un autre, ils ne peuvent ni expliquer l’augmentation d’incidence des cancers, ni celle des autres maladies telles que les maladies neuro-dégénératives ou encore les problèmes d’infertilité. Il faut aujourd’hui se rendre à l’évidence et prendre en compte les facteurs environnementaux, en particulier la pollution omniprésente.

A-t-on trop misé sur la génétique et les nouveaux traitements au détriment de la prévention·?

Pr. B. Bien sûr. Le problème vient du fait qu’on n’a misé que sur la génétique. Et pas sur l’interaction des gènes avec l’environnement, ni sur les liens entre santé et environnement. L’erreur a été de transformer les unités de recherche qui s’occupaient de toxicologie en unités de génétique. La génétique oui. Mais il faut absolument mener en complément des recherches en éco-toxicologie et en prévention environnementale.

Quel bilan dresseriez-vous du plan cancer lancé en 2003 par le Président Chirac·?

Pr. Belpomme. Le constat est unanime. Ce plan est un échec complet. J’en parle avec d’autant plus de liberté que j’en ai été en partie à l’origine.

Le taux d’incidence des cancers continue d’augmenter. Il n’y a aucune mesure de prévention efficace aujourd’hui, hormis celle visant à diminuer le tabagisme et l’alcoolisme. En matière de dépistage des cancers du sein, seulement 40 à 50% des personnes concernées répondent à leurs convocations. Le dépistage des cancers digestifs n’est pas encore mis en œuvre. Et surtout, la recherche à visée thérapeutique n’a rien apporté de nouveau. On est resté dans l’ancien paradigme qui est la recherche de nouveaux traitements, alors que ceux-ci s’avèrent de moins en moins efficaces et de plus en plus coûteux. Nous n’avons rien fait simultanément au niveau des recherches en prévention. On note certes une régression des cancers liés au tabac et à l’alcool. Mais celle ci n’est pas liée au plan cancer mais aux effets des lois Evin et Veil et n’est donc pas à mettre à son actif.

Il faut cependant mettre au crédit de ce plan la sensibilisation des pouvoirs publics au problème du cancer. Un institut national du cancer a été créé -sans que l’on sache vraiment ce qu’il fait. Des cancéropôles régionaux ont été mis en place. Mais on se retrouve à nouveau dans le curatif et non dans le préventif.

Des intérêts économiques n’auraient ils pas contribué à freiner les avancées dans la lutte contre le cancer ?

Pr.B. Nous avons besoin de l’industrie pharmaceutique. Le vrai problème tient à une absence de compréhension et d’efficacité de notre politique sanitaire. Nombre de spécialistes pensent aujourd’hui que les cancers sont liés à l’environnement. Mais cette prise de conscience ne se traduit pas par des actes. Un certain nombre de chercheurs, le plus souvent liés à l’industrie, sont également responsables, car ils n’ont pas intégré le nouveau paradigme environnemental. Si l’Europe est très en avance en matière de politique environnementale, la France fait, elle, figure de lanterne rouge. Il faut espérer que ce nouveau paradigme scientifique finisse un jour par gagner l’ensemble du corps médical et que les décideurs politiques prennent véritablement conscience que nos maladies d’aujourd’hui ne sont plus celles d’hier, qu’elles sont «·créées par l’homme·».

Que faudrait-il faire pour lutter efficacement contre le cancer·?

Pr.B. Il faut mettre en œuvre une véritable prévention environnementale, et en particulier protéger les femmes enceintes et les enfants, car ils sont les plus vulnérables. Le paradigme d’autrefois consistait à dire que les problèmes de santé étaient du ressort des médecins et de l’hygiène. Aujourd’hui, de médical le problème est devenu sociétal, donc politique, car il remet en cause certaines activités humaines telles que l’incinération des déchets, les OGM ou l’usage des pesticides. Il faut mettre en place un plan Marshall de l’environnement visant dans le domaine sanitaire à revaloriser l’éco-toxicologie, l’épidémiologie et la biologie écologique de l’environnement. Espérons que le Grenelle de l’environnement, qui s’est donné pour objectif de déplacer des montagnes, n’accouchera pas d’une «·souris verte.·»

 

A lire·:

*Guérir du cancer ou s’en protéger par le Pr Dominique Belpomme (Fayard 2005)

* La société cancérigène par Geneviève Barbier et Armand Farrachi (Points. La Martinière 2007)

* Avant qu’il ne soit trop tard par le Pr Dominique Belpomme (Fayard 2007)

 

 

 

Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe

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