Créer une monnaie parallèle ou complémentaire qui serve uniquement à échanger et non à spéculer n’est plus une utopie. Des milliers d’expériences menées à travers le monde en témoignent.

 

Avec l’Ithaca Hour, impossible de jouer en bourse ou de thésauriser. Adieu les bulles spéculatives et l’inflation. Créée en 1991 par un simple citoyen, Paul Glover habitant Ithaca, une ville de 30·000 habitants de l’Etat de New York, cette monnaie complémentaire est aujourd’hui en pleine expansion. Son succès a été fulgurant. Au milieu des années 1990, 1500 boutiques et entreprises acceptaient cette devise locale, avalisée par la mairie et la chambre de commerce de la ville mais aussi par une banque l’Alternatives Fédéral Crédit Union. L’Ithaca Hour, qui irrigue l’économie locale en circuit fermé, a permis aux habitants de la ville de redécouvrir la fonction traditionnelle de la monnaie·: servir de fluide pour faciliter l’échange entre les hommes et la circulation de richesses. Ce système a fait des émules en Amérique du Nord. Une vingtaine de villes dont Santa Fe (Nouveau Mexique), Hardwick (Vermont) ou Kingston (Canada) ont décidé d’édicter leur propre monnaie.

 

Quelles soient qualifiées de complémentaires, de sociales ou de solidaires, ces monnaies «·alternatives·» ne sont pas un phénomène nouveau. Les premières expériences concrètes visant à replacer l’argent au service des hommes et à tenter de palier au manque de monnaie sont nées dans l’Europe en crise des années 1930, en Allemagne, à Schwanenkirchen tout d’abord, puis en Autriche et en France. «·Ces monnaies complémentaires ont permis de survivre à des dépressions économiques. D’autres expériences, plus près de nous comme le Berliner ont permis de récréer du lien social. Sans oublier le peuple argentin qui a survécu, dans les années 1990, à la faillite de son système financier grâce aux «·trueques·» (clubs d’échanges) et au credito, monnaie lancée par les Argentins eux-mêmes pour palier le manque de pesos », expliquent André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder auteurs du livre La dette publique, une affaire rentable (Yves Michel éditeur). A ce jour, selon ces auteurs, plus de 3000 expériences de monnaies alternatives ou complémentaires seraient menées à la surface du globe.

«·Dans la plupart des situations de crise, on observe une forme d’érosion du pouvoir monétaire, souligne l’économiste Jean-Michel Servet, coordinateur du livre «·Une économie sans argent·» (Seuil). Il y a donc nécessité d’établir des instruments privés protégeant le pouvoir d’achat...·»

C’était l’objectif des Lets (Local exchange traditionnal systems) nés en Grande Bretagne au début des années 1990 dans les quartiers pauvres de villes comme Brixton, Liverpool ou Manchester. Cette monnaie a permis de maintenir à flot de nombreuses familles endettées et exclues du système bancaire en favorisant une activité et des échanges dans des zones où la livre avait presque disparue.

«·Les monnaies parallèles ou complémentaires et autres réseaux d’échanges de savoirs ou de temps, permettent aux gens de réinventer des capacités d’échange là où très souvent le système marchand devient un facteur de blocage de l’échange·», souligne Patrick Viveret, conseiller référendaire à la Cour des comptes et auteur d’un rapport sur une nouvelle approche de la richesse intitulé «·Reconsidérer la richesse·». Il est à l’origine d’une monnaie solidaire baptisée SOL qui est expérimentée dans cinq régions françaises.

 


Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe

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